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  • Le terrier sous la lune

Plaidoirie pour la poésie : en quoi la poésie est-elle nécessaire ?

Dernière mise à jour : 26 avr.

Depuis longtemps maintenant, j'ai un lien privilégié avec la poésie : j'en lis, j'en écris, elle m'accompagne au quotidien et, dans les nuits sombres, des vers jaillissent de ma pensée. De ce fait, je souhaitais vous écrire un article sur ce grand genre littéraire en m'appuyant sur la question suivante : en quoi la poésie est-elle nécessaire ?


Un genre qui apporte un nouveau regard sur le monde


La poésie regarde et la poésie montre. Si je pars de ce postulat, je peux annoncer les choses suivantes :


Tout d'abord, la poésie regarde le monde car elle force le poète ou la poétesse à ouvrir les yeux sur lui, la poésie n'est pas que dans les grandes choses, elle se cache dans nos quotidiens. Le poète, chercheur d'or, ausculte les alentours à la recherche des trésors du monde. Le lecteur, quant à lui, est poussé dans cette posture par le texte qu'il tient entre ses mains en cherchant, à son tour, les trésors découverts par le poète. Peut-être en trouvera-t-il même des nouveaux.


Ensuite, la poésie montre les détails et ce qui a été oublié sous des couches de quotidien, d'abord à l'auteur qui reçoit la mission de retranscrire ce qu'il a vu dans ses écrits, puis au lecteur qui reçoit ses découvertes pour devenir celui qui sait à son tour.


Lire de la poésie c'est ouvrir les yeux sur ce que l'on ne voit plus, sur ce qui n'est plus important ou acceptable dans notre société de consommation.


Un genre qui bouleverse la langue


Le langage oral ou écrit est une matérialisation de nos pensées mais parfois les mots nous manquent, les tournures nous semblent faibles. D'ailleurs, tout le monde connait l'expression, tristement célèbre : "je n'ai pas les mots". Nous n'avons plus les mots lorsqu'une situation devient si terrible, si incompréhensible que le langage habituel ne peut la refléter ou, au contraire, que sa beauté est si effervescente qu'elle laisse sans voix. Nous faisons donc face ici à un échec de la langue et pourtant, nous ne pouvons garder le silence. La poésie peut entrer en scène à ce moment là : elle défie les codes, transcende la langue et a sa structure propre. Ainsi, nous pouvons exprimer d'autres réalités : les indicibles, les incompréhensibles, les invisibles.


Pour cela, la poésie joue avec les mots mais amène aussi des sonorités et des images. Si cette alliance fait peur à beaucoup de lecteurs et lectrices, c'est parce que nous n'avons plus l'habitude d'écouter : la poésie dit ce qui est tu, ce qui est tué. Les figures de style comme la métaphore, la comparaison ou encore l'oxymore matérialisent et envoient des images étrangement familières à notre cerveau. Nous avons tous vu "les diamants sur la mer" et pourtant, lorsque les rayons scintillent sur l'eau, nous nous contentons de dire : "c'est beau". Les sons, quant à eux, nous entourent tant dans nos sociétés modernes que cela en devient presque aliénant. Toutes et tous courons parfois vers le calme et le silence en les suppliant de venir à nous et surtout en espérant pouvoir entendre, enfin, les bruits de la nature et les bruits de notre coeur. La poésie rend grâce aux sons et sonorités et leur redonne de la valeur car, en elle , ils retrouvent leur essence : la matérialisation sonore d'un élément ou d'un évènement qui se passe dans la réalité. Au départ, le son est une vibration qui se propage sous la forme d'ondes captées par l'ouïe, Justement, la poésie est vibrante et c'est ce qui la rend parfois difficile à saisir. Habitués à communiquer avec la parole ou les gestes, elle nous amène à considérer d'autres moyens de communication : l'ouïe, l'odorat et la vue.


Lire de la poésie, c'est apprendre à mieux dire et à mieux comprendre, c'est parler avec ses cinq sens.


Un genre finalement très proche de la réalité


Si la poésie semble être, par sa réputation, un genre totalement déconnecté de la réalité, il n'en est rien. Bien au contraire, comme je l'ai dit plus haut, elle nous ramène à nos sens et donc à une découverte du monde plus empirique. La poésie est une invitation vers l'extérieur tout en le faisant résonner avec l'intérieur, le nôtre. Lisez de la poésie dans votre salon pour voyager, lisez de la poésie au parc pour observer.


En outre, la poésie peut évoquer ce qui est grand : la grande Histoire, nos héros et héroïnes, les victoires et les défaites, les grandes émotions et les grands états d'âme. Cependant, elle se cache souvent dans les petites choses qui nous entourent : le bruissement du vent, le souvenir d'un aïeul, une promenade sous la pluie ou une émotion furtive. En ce sens, elle est finalement très quotidienne et invisible.


Lire de la poésie, c'est se rendre compte de cela,c'est se souvenir que l'intensité est autour de nous, c'est comprendre que l'invisible peut être vu.


Un genre qui met les émotions et les sensations à l'honneur


Tout un tas d'injonctions nous expliquent à quel point les émotions et sensations sont basses. Si tu es une femme en colère aux yeux enflammés, tu deviens une hystérique. Si tu es un homme triste aux yeux larmoyants, tu deviens un poltron. Ce constat est navrant et dangereux car il déconnecte les humains entre eux mais il les déconnecte aussi de la nature d'où ils viennent. Comment la rencontrer sans la ressentir ? Peut-on même prétendre la comprendre sans cela ?


En opposition, les connaissances et savoirs théoriques sont glorifiés : ils sont indéniablement importants mais ne valent finalement pas grand chose s'ils sont isolés. Savoirs empiriques et théoriques vont, pour moi, de pair et la poésie est un genre à l'image de cette pensée. La langue est élaborée, travaillée et disséquée à partir des faits, des objets , des sensations ou des émotions vécus ou rencontrés dans le monde.


La poésie pleure, la poésie rit, la poésie ressent les larmes et les sourires. Elle nous rappelle que nous pouvons éprouver le monde et les gens, aller à la rencontre des autres et de soi. Avec la tête, avec la peau, avec les armes et avec le coeur.


Lire de la poésie, c'est comprendre que le coeur et l'esprit font alliance pour lire et dire le monde.


Un genre qui fait appel à un lecteur ou une lectrice "éclairé.e"


La poésie peut sembler injuste. Injuste car elle ne donne pas les clés et sous-entend ses messages. C'est le prix à payer pour dire l'indicible et voir l'invisible. Traîtresse, elle pousse le lecteur dans ses derniers retranchements en le forçant à puiser dans toutes ses connaissances. La poésie parle du monde, porte le regard sur les détails mais elle n'allume pas la lumière. Elle encourage le lecteur à chercher la lumière. N'entendez pas par "lumière" le salut absolu mais rattachez-la simplement au fait de (re)voir. Chaque vers, chaque ligne poétique est une bougie à allumer qui éclaire un aspect du monde.


Sans pitié, la poésie perturbe la syntaxe, fait sonner les mots et surgir les images. Elle ne ménage pas son lecteur et est exigeante car la lire c'est se croire capable, c'est reprendre son droit sur les mots, surtout sur ceux que nos sociétés ne veulent pas nous rendre. Ne plus dire, ne plus saisir les mots c'est, à terme, ne plus pouvoir matérialiser nos réflexions et ressentis et pire encore c'est ne plus les penser du tout. En cela, le langage est politique, il est pouvoir. Et à certains égards, la poésie l'est aussi.


Lire de la poésie, c'est élargir sa pensée, transcender sa compréhension du monde et prendre conscience du pouvoir de ses propres mots.


Le Terrier sous la lune. 🦊🌕


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