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Chronique d'un livre qui se fera une place dans la Littérature : Ton absence n’est que ténèbres, Jòn Kalman Stefànsson

  • leterriersouslalun
  • 12 janv. 2024
  • 8 min de lecture

Carte d’identité :

 

Auteur : Jòn Kalman Stefànsson

Titre : Ton absence n’est que ténèbres

Date de publication : 12/01/2023

Editeur : Gallimard

Collection : Folio



 

Résumé :

 

Au fin fond des fjords et bien loin de Reykjavík, le narrateur amnésique de cette œuvre se réveille sur les bancs d’une église. A son retour dans le monde, un mystérieux pasteur l’accueille : il semble tout savoir alors que notre narrateur ne se souvient même pas de sa propre identité. Dans le village où il se trouve, tout le monde semble le connaître et avoir des souvenirs avec lui pourtant rien ne lui revient. Tous lui content des histoires et le voilà immergé dans une fresque familiale immense et déroutante commençant au XIXe siècle. Le voilà plongé dans une découverte de l’Humanité à travers les existences passées d’un pasteur amoureux, d’une fille du peuple érudite ou encore d’un fermier à la poursuite d’un rêve. Mais le voilà aussi plongé dans une découverte de sa propre identité : les questions s’accumulent et le gouffre devient abyssal. Dans les effluves des souvenirs, de l’alcool et de l’humain, le narrateur fait face au pouvoir de la littérature et à lui-même en tentant de recoller les morceaux d’une histoire familiale bouleversante pour découvrir ce qui constitue l’humanité.

 

Mon avis :

 

            Voici un livre qui, je pense, peut traverser les époques et se faire une place dans ce que l’on appelle la « Littérature ». Il rend grâce à cette dernière en lui donnant un rôle à part entière avec un narrateur-écrivain amnésique qui rédige, justement et magnifiquement, Ton absence n’est que ténèbres.


            Les personnages, quant à eux, sont profonds, intenses et existent dans toute leur humanité. Leurs défauts, leurs qualités, leurs pêchés et leurs moments de grâce sont contés et créent une fresque familiale et romanesque gigantesque. Le lecteur est ainsi plongé et égaré dans les abysses du genre humain. Certaines scènes sont sublimes, d’autres sont terribles. Quoi qu’il en soit, elles poussent le narrateur comme le lecteur à s’interroger : qu’est-ce que l’humanité ? Qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce que la mort ? Et surtout qu’est-ce que la vie avant celle-ci ? Ce sont ces questionnements et l’exploration des sentiments humains, notamment de l’amour sous toutes ses formes, qui sont l’essence de livre.


            Bien que magnifique, ce livre est très complexe et je pense qu’il n’est pas accessible à tous. Les récits et les époques sont enchâssés, les personnages sont nombreux et il est parfois difficile de se situer dans le livre. Le narrateur est perdu alors l’auteur perd volontairement son lecteur et même si les changements de temporalité sont réalisés avec brio et finesse, le roman est vraiment déroutant. Arrivée à la fin du roman, je me suis sentie démunie et remplie de questions laissées sans réponse ; ce n’est que le lendemain, après une nuit de sommeil et une réflexion approfondie sur ma lecture que j’ai trouvé des pistes. Et pourtant, encore aujourd’hui lors de la rédaction de cette chronique, je suis bien incapable de saisir toutes les couches et secrets de cet ouvrage.


            Pour résumer et conclure mon propos, je conseille cet ouvrage aux amoureux de la littérature, des analyses littéraires et des questionnements autour de l’Humanité. Malgré sa complexité, il est un fabuleux voyage et est une véritable ouverture à la réflexion. Ce livre, il faut être prêt pour sa lecture et prendre le temps de le lire sinon vous risquez bien de le fermer au bout d’une centaine de pages et cela serait dommage car il rend grâce à la littérature et au genre humain en en faisant son cœur.

 

Quelques pistes d’analyse :

 

LA PLACE DE LA LITTÉRATURE :

 

            Ton absence n’est que ténèbres est une plongée au cœur de la littérature qui met parfois son lecteur en apnée. En effet, le travail littéraire et sa complexité sont bien mis en avant par l’auteur : le récit est disloqué, les temporalités perturbées et mélangées, les questionnements multiples et les émotions disséquées. Le narrateur est lui-même auteur et rédige les mémoires du petit village islandais dans lequel il se trouve. Parfois en lien avec les personnages du roman, il est majoritairement hors du temps et de l’existence humaine basique. Je n’ai pu m’empêcher de penser au poème Le poète et la foule lors de ma lecture, puisque Théophile Gautier met en avant dans celui-ci le caractère omniscient et presque prophétique du poète : il est celui qui est capable de décrire le monde et l’humanité, il est celui qui abreuve de ses écrits le reste de son espèce et qui tient magistralement ce rôle car il est capable de percevoir toute la profondeur du monde. C’est ce rôle que tient le narrateur-écrivain amnésique. Démuni, égaré, il est celui qui raconte et se délecte des histoires du monde pour trouver son prochain et surtout se trouver lui-même. Par le pouvoir de la parole, dans une dimension presque divine, il permet aux morts de revenir fouler ce monde et de transcender le temps, il permet aux émotions d’être exprimées et approfondies, il permet à l’Humanité de se voir dans un miroir. Par rapport au poème de Gautier, une nuance est apportée ici puisque le narrateur semble inconscient de ce pouvoir et est même en souffrance face à la situation : ce rôle de conteur vient avec une grande responsabilité et un pouvoir immense puisque ce qui est écrit s’ancre dans notre monde en devenant concret. Je disais précédemment que la littérature était au cœur de cette œuvre : la mise en avant de la figure de l’écrivain, le poids de cette responsabilité et le passage de l’abstrait au concret par l’écrit sont de belles représentations de son omniprésence.




La plaine un jour disait à la montagne oisive : 

« Rien ne vient sur ton front des vents toujours battu !  »

Au poète, courbé sur sa lyre pensive,

La foule aussi disait : « Rêveur, à quoi sers-tu ?  »  


La montagne en courroux répondit à la plaine : 

« C’est moi qui fais germer les moissons sur ton sol ;

Du midi dévorant je tempère l’haleine ;

J’arrête dans les cieux les nuages au vol !


Je pétris de mes doigts la neige en avalanches ;

Dans mon creuset je fonds les cristaux des glaciers,

Et je verse, du bout de mes mamelles blanches,

En longs filets d’argent, les fleuves nourriciers. »  


Le poète, à son tour, répondit à la foule : 

« Laissez mon pâle front s’appuyer sur ma main.

N’ai-je pas de mon flanc, d’où mon âme s’écoule,

Fait jaillir une source où boit le genre humain ? »


Le poète et la foule, Théophile Gautier, 1845.

 



UNE PEINTURE DU GENRE HUMAIN


            Ton absence n’est que ténèbres est aussi une peinture du genre humain et cela se révèle de différentes manières. Tout d’abord, il est possible de voir une évolution des mœurs et du quotidien puisque l’histoire commence au XIXe siècle et s’achève à notre époque. En effet, l’humanité va de pair avec l’évolution et en naviguant à travers les siècles, elle est portée aux yeux du lecteur. Cet ancrage dans une époque donne de la crédibilité au récit et renforce les messages transmis par l’œuvre. Les personnages ont leur propre personnalité mais ils sont aussi le fruit de leur époque et de leur généalogie.

           

En outre, la généalogie est un point clé du roman : le passé est raconté car il a un impact sur le présent, les défunts hantent les vivants car ils ont un jour foulé cette terre et eu un impact. Nos ancêtres, par leurs histoires et parcours de vie, marquent notre âme, nous donne force et courage mais aussi souffrance et faiblesse. Les mémoires transgénérationnelles visibles dans ce livre mettent en lumière le pouvoir du passé sur le présent ainsi que le passage de flambeau d’une génération à une autre. Se souvenir, raconter une histoire, c’est apporter la lumière car sans cela, il est vrai que l’absence n’est que ténèbres.


            De plus, les émotions sont omniprésentes dans l’œuvre : elles sont protéiformes et puissantes, elles font plier les Hommes, les mettent à genoux, puis les relèvent pour leur donner un nouvel élan de vie. L’amour, par exemple, est passionnel, familial, laborieux, inavoué, proféré et impossible ; il est marital, filial, adultère, amical, fraternel et animal. Il est celui qui donne vie, qui donne cœur à vivre mais aussi celui qui donne le baiser mortel et impose le silence. Tut ou prononcé, il chuchote à l’oreille des personnages et résonne comme une mélodie entêtante au fond de leur être. Le désir est aussi très présent dans le livre, à travers de nombreuses scènes à caractère sexuel : la découverte, le partage la jouissance et l’osmose ; la culpabilité, le dégoût, la violence et le rejet. Il est tout ce qu’il peut être : pur et répugnant. Les émotions lumineuses et les émotions sombres sont décrites, creusées et parfois même éventrées dans cet ouvrage car elles sont l’Homme dans ce qu’il a de plus beau et ce qu’il a de plus laid.


            Enfin, la vie et la mort, le passage de l’un à l’autre, leur avant et leur après sont des questions qui animent tout humain qui foule cette terre. Dans ce livre, ces questionnements habitent le narrateur : propulsé sur Terre sans aucun souvenir, il ne peut que s’interroger sur ce qu’est la vie et ce qu’est la mort. Revenir sans ses souvenirs est une sorte de renaissance mais aussi une mort car le prix à payer est l’oubli des souvenirs, l’oubli d’une partie de soi. Les personnages, quant à eux, rencontrent tous celle que l’on nomme La grande Faucheuse, métaphoriquement ou physiquement. Certains vont voir leur enfant mourir, d’autres vont perdre le grand amour de leur vie, quitter ce monde seul, dire au-revoir à leurs rêves ou encore trahir et voir périr une part d’eux-mêmes. Mais avant cela, ils vont consommer la vie en vivant le véritable amour, en transcendant les normes sociales, en quittant leur quotidien pour suivre un rêve ou encore en enfantant. De la multitude de couleurs de la vie à la noirceur du trépas, de génération en génération, ils laissent une trace sur ce monde comme un peintre le ferait sur une toile.


L’IDENTITÉ DU NARRATEUR 


Veuillez ne pas lire cette sous-partie si vous n’avez pas lu l’œuvre et que vous souhaitez vous plonger dedans.


            L’identité du narrateur est obscure tout au long du livre et diverses questions passent dans l’esprit du lecteur : Qui est-il ? D’où vient-il ? Est-il vivant ou mort ? Existe-t-il vraiment ?


Il est là, sans réelle identité car il transmet celle de tous les autres personnages, défunts ou bien vivants. N’est-ce pas une sorte de condamnation ? Une contrepartie coûteuse pour celui qui écrit ? Il transmet au détriment de sa propre existence car il sert quelque chose de plus grand : l’évolution par la transmission des histoires. Le narrateur de ce récit n’est alors, peut-être, qu’une figure de l’auteur.


Ou peut-être est-il simplement un homme égaré et dédié à son art. Cela signifierait qu’il a bien sa place dans le monde mais qu’il choisit de ne pas la prendre. Cela ferait de lui un personnage à part entière. Cette hypothèse me convainc moins mais reste plausible. Peut-être a-t-il vraiment oublié sa vie passée, mais alors pourquoi ? Je n’ai pas réussi à répondre à cette question. Peut-être est-il malade ou peut-être a-t-il eu un accident. Cela est passé sous silence.


La troisième hypothèse se révèle à la fin du livre lorsque le pasteur/chauffeur de bus lui parle d’un pacte, d’une seconde chance qui lui a été donnée et qui a été un échec. Le narrateur devait oublier ses souvenirs pour pouvoir écrire un chef-d’œuvre. A plusieurs reprises, il est écrit que les mains de ce premier personnage sentent le soufre, comme celles des démons. Une autre dimension vient alors s’ajouter, plus ésotérique, le narrateur aurait-il passé un pacte avec un démon pour écrire une œuvre monumentale ? Moins métaphorique, cette analyse est plausible même si elle est étonnante puisque le roman est majoritairement réaliste.


Mon cœur balance donc entre la première et la troisième hypothèse. Finalement, c’est peut-être un mélange des deux.


FIN DES SPOILERS

 

Discussion :


-       Avez-vous lu ce livre ? Si ce n’est pas le cas, vous fait-il envie ?

-       Pour ceux qui l’ont lu, qu’avez-vous aimé ou moins aimé dans ce livre ?

-       Avez-vous des hypothèses sur l’identité du narrateur ?

 

Merci d’avoir lu cet article.

 

Littérairement vôtre,


            Le Terrier sous la lune.

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